On calcule ses gestes, on compte ses déplacements, on retient presque littéralement son souffle… Cette pandémie a modifié radicalement les comportements dans l’espace public et dans les surfaces commerciales. Pour autant, faut-il s’interdire d’envisager le retour de moments d’amusement et, finalement, le triomphe du sourire ? Éléments de réponse.
Les professionnels de l’événementiel, premier secteur touché et dernier à reprendre, n’ont pas nié le caractère « accessoire » de leur activité au moment de s’effacer. Pour autant, cette prise de responsabilités ne doit pas enlever tout sens à leur rôle social.
Cette assertion pourra être discutée. Mais au moment de hiérarchiser entre les activités de « première nécessité » et les autres, il est difficile de comparer le fait de se nourrir et celui de se distraire.
Mécaniquement, les temps récents ont bien montré qu’une telle crise nous renvoyait à nos instincts d’Homo sapiens. Personne n’aurait en tête de se divertir avant d’avoir réglé la question de se nourrir.
De plus, la fameuse contagiosité du Covid-19 a rapidement balayé certains de nos réflexes. Le simple bon sens a commandé qu’il faudrait attendre pour se regrouper physiquement.
C’est avec ce simple constat que le monde de l’événementiel, dans son immense majorité, s’est assez vite effacé. Dans l’actualité spécialisée, on n’a peu lu ni entendu de remise en question frontale des mesures gouvernementales.
Réunions de dix, cent, mille, cinq-mille personnes… Personne n’est vraiment dupe, au fond, de l’exactitude des seuils utilisés pour encadrer l’activité humaine, notamment festive. Mais face à un gouvernement qui avoue ne pas tout savoir de cette pandémie, il est à saluer la prise de hauteur des responsables événementiels, organisateurs de festivals en tête, qui n’ont pas cherché à pinailler, à jouer avec une date, un nombre de participants, etc.
Pendant ce temps-là, les fameux « gestes barrières » ont été communiqués pour pouvoir, a minima, permettre aux activités de première nécessité de se poursuivre. Sous l’œil intéressé d’un secteur qui, s’il prend acte du boulevard ouvert aux solutions digitales, ferait une grave erreur en enterrant la magie particulière de l’animation physique d’un lieu, du vrai « contact » humain et du partage d’une expérience palpable.
L’Histoire, mais aussi quelques récentes scènes de vie, montrent que l’être humain ne se résout pas éternellement à renoncer à son amusement. Dans les temps les plus obscurs, faire une croix sur les moments d’évasion et ajouter du fatalisme à une situation douloureuse n’a jamais rien arrangé.
Un habitant confiné fait cracher ses baffles dans la rue. Dalida, Trenet, un folklore italien ou un gros son électro… La réaction des passants, des voisins à leur balcon, ne ressemble pas à ce qu’on connaît. Ici, à Nantes, les habitants d’une rue du centre ont tendu des guirlandes entre eux. Impensable avant le 15 mars.
On écoute, on regarde, on danse, comme pour se rappeler qu’on vit pour ça. Après tout, qu’est-ce que vivre, si c’est seulement respirer, manger, dormir et recommencer ? Comme un défi au virus, la population ne veut plus « seulement » se recroqueviller sur la lecture, l’écoute de la musique à domicile, le binge-watching Netflix (déjà, le divertissement, oasis dans le désert de nos libertés passées).
Bien sûr, cette envie d’investir le champ des possibles, de l’étendre au maximum, n’a pas touché chacun au même moment. Mais dans le voyage que nous propose 2020, c’est une étape qui nous attend tous. A long terme, personne ne se complaira dans l’isolement, le trop peu de contact humain, et surtout la fermeture d’une fenêtre sur autre chose.
A ce titre, le chef d’œuvre de Roberto Benigni La vie est belle (1997), illustre parfaitement cette réalité un peu contre-intuitive. Bien sûr, pas question ici de comparer l’horreur des camps de concentration avec la pandémie actuelle. Mais des mécanismes humains de réponse à la difficulté, à la souffrance, à la limitation de nos libertés, se retrouvent.
Dans les premiers temps, le héros, Guido, doit sans doute essuyer les regards consternés de ses compagnons d’infortune. « Comment ose-t-il jouer avec son fils dans cette situation ? » Et puis, lentement, le temps fait bouger les lignes.
Chaque nouveau jour est une chance de faire réaliser à une personne de plus que s’apitoyer, si c’est bien normal, c’est capituler totalement, ouvrir en grand la porte de son âme à l’invasive désolation.
On a besoin de jouer, de sourire, d’échanger, de se divertir, même en situation de crise. Surtout en situation de crise.
Il y a fort à parier que la question de l’animation des lieux de vie, lentement, à son rythme, à son tour, reviendra au sommet de la pile des nécessités. Et le sourire gagnera. Encore.
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